Une histoire vraie

En arrivant au début de la rue Yaffo, à la station du tram, je demandai à quelqu’un où était le bureau de renseignements. Une des personnes qui attendaient sur le quai m’indiqua d’un geste de la main une vitrine en verre fumé : « essayez là, ça fait partie de la mairie ».

La porte était bloquée. Il fallait sonner – comme pour entrer dans une banque ou dans une bijouterie de luxe. « Ils doivent donner des renseignements très précieux », pensais-je.

La porte s’ouvrit. Au fond d’une petite salle vide, une femme était assise derrière un comptoir. Je lui demandai si la ligne du tram passait près de l’hôpital Shaaré Tsedek.  Elle me fit signe que oui de la tête en continuant sa lecture sans me regarder.

« Et le tram vient tous les combien s’il vous plait ? ». Elle leva alors des yeux curieux sur moi et me demanda : 

« Vous devez aller à l’hôpital ? »

Je ne voulais pas commencer à lui raconter mon histoire. En silence j’esquissai un sourire pour l’attendrir. 

« Tous les quarts d’heure  » dit-elle.

J’allais partir. Elle ajouta d’une voix ironique : 

« Vous savez, Monsieur, ça n’est pas un bureau de renseignements ici ! »

Je me retournai vers elle : 

« C’est quoi alors ? »

« C’est une galerie. » 

« Une galerie de quoi ? »

« Une galerie d’art. »

« Vous ne voyez pas les tableaux ? »

En effet, sur les murs je découvrai soudain des grands visages, des portraits, encore des portraits, des drôles de têtes bizarres, tout autour de la salle. Certains semblaient sourire, de connivence avec la femme.

  • « Ce sont de vrais personnages? » demandais-je. Elle parut surprise

à son tour.

  • « Vous posez des questions d’enfant  », me dit-elle sur un ton de reproche

« Ce sont des peintures, Monsieur ! »

– « Oui, mais des peintures de personnages qui existent ? De vraies personnes ? »

 –  « Qu’est-ce que ça change, s’ils vivent ou s’ils sont morts ? Vous les connaissez vous leurs histoires ? »

Après une pause, elle reprit en s’énervant :

« Et bien, oui ! Ce sont des peintures vraies avec de vraies personnes qui racontent des histoires vraies !! Aussi vraies que votre histoire d’hôpital et de tram. Ça vous va comme ça ? »

Je m’approchai d’un tableau.

C’est finalement très sérieux un tableau. Les personnages vous regardent au fond des yeux. Ils disent la vérité sans tricher. Ils vous racontent leurs vies, leurs rêves, leurs douleurs, leurs espoirs. Vous les comprenez à demi-mot, avec un sourire, un clin d’œil.

Vous savez que leur histoire est vraie car c’est aussi la vôtre. Leur insistance est parfois gênante : ils voudraient vous connaître et vous entendre. Je détournai les yeux vers d’autres toiles. J’entendai leurs voix qui me murmuraient leurs secrets et qui me demandaient les miens.

Soudain, la femme me dit presque en criant :

« Eh, Monsieur ! Vous dormez ? Vous n’entendez pas le sifflet du tram ? » 

Je sursautai et me dépêchai vers la sortie mais je me cognai contre la porte vitrée.

« Faites attention », dit-elle en riant, « c’est une vraie porte ! »

Michel Koginsky

 

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